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Chasseurs d'orages

Orage !

 

Les yeux dans le vague, Sébastien contemple le Mont-Blanc. Le tableau, plaqué contre un mur blanc défraîchit, restitue sans complaisance l'ambiance rupestre du site.  C'est dans le cadre majestueux des Alpes du Nord qu'il a choisi une villégiature pour ses congés annuel. La Haute-Savoie est la destination évidente pour une horde de vacanciers parisiens en quête d'air pur et de dépaysement. Pourtant, Sébastien n'aime pas spécialement les sports de montagne, ni même le sport. Tout petit déjà, lorsque ses frères et soeurs profitaient du soleil ou jouaient dans la piscine, Sébastien se cloîtrait plusieurs heures à lire des ouvrages scientifiques, à étudier les phénomènes météorologiques, pour le plaisir. Tel un alchimiste, il faisait et défaisait des théories qu'il ne comprenait pas bien, mais cette recherche intime donnait un sens à sa vie. Se sentant incompris, il s'enfermait souvent dans un monde de rêves. Laissant la terre à ses pied, son regard s'élevait vers les nuages et les étoiles qu'il avait entrepris d'apprendre. Dès lors et pour toujours, il resta captivé par cette nature impalpable dont seuls quelques esprits éveillés déchiffrent les messages. Aujourd'hui, dans sa recherche d'absolu, Sébastien contemple les astres, chasse les orages, et se nourrit de littérature scientifique. Il n'en a pas fait un métier mais une vie parallèle, un exutoire cosmique, qu'il partage avec quelques amis passionnés. Pour toutes ces raisons, il a choisi la montagne comme destination de vacances.

En cette après-midi d'été, un soleil de plomb brûle les hautes herbes et fait fondre l'asphalte des routes désertées. La chaleur et la digestion endorment toute vie dans les villages. Quelques radios crépitent au rythme des coups de pédale du maillot jaune. Les auditeurs, bercés par la voix du commentateur, se délectent, le temps d'une sieste, d'un repos réparateur. Lorsqu'ils émergent, pour le sprint final,la chaleur se fait plus supportable et quelques plans de pétanques ou de baignade se dessinent.

Sebastien, initié, reconnaît cette atmosphère lourde, se prépare pour l'événement de la soirée et se réjouit par avance du spectacle offert par la nature. Il détaille avec précision l'évolution des cumulus. Quelques cumulonimbus en formation bourgeonnent. D'un blanc éclatant ils dessinent d'improbables formes qui se détachent en lambeaux cotonneux. Peu à peu, quelques zones plus sombres indiquent le début du processus de convection. D'un blanc pur au sommet, le nuage se contraste sur sa base qui ne réfléchit plus la lumière du soleil.

Ici et maintenant se trame la sortie nocturne du chasseur d'orages. Le matériel est soigneusement vérifié, réglé et les batteries des appareils photos rechargées. Lorsqu'il prépare un coupe-vent et des vêtement chauds, Sébastien fait figure de marginal au yeux de vacanciers en short et maillots de bains. Mais, peu à peu, l'atmosphère se rafraîchit, le badaud enfile son tee-shirt et regarde avec méfiance ces gros nuages menaçants.

Peu avant le crépuscule, l'air devient électrique, quelques grondements se font entendre, le soleil donne un éclat rougeâtre aux sommets enneigés des massifs alpins et à l'imposant cumulonimbus. Cette lumière diffuse dégage une douceur qui réchauffe les sens. Pourtant, à proximité su sol, le vent commence à souffler. Le nuage se décompose en d'inquiétantes nuances monochromes, et s'assombrit au point de laisser percevoir des flashs annonçant une activité orageuse.

Devant l'imminence du cataclysme, Sébastien, en phase d'excitation,charge rapidement le matériel dans son automobile et se met en quête d'un point de vue. Sur la route, il observe et cherche, intuitivement, avec l'acquis de son expérience, le point d'intersection idéal. Lorsque le cumulonimbus déverse ses précipitations dans un déluge, l'activité électrique est à son comble et le chasseur d'orage s'applique à photographier à distance la colère des éléments. Lentement, sûrement, la cellule orageuse se rapproche du spectateur. Arrivé à maturité, l'orage génère un magnifique feu d'artifice qui embrase le ciel. Les précipitations décomposent la lumière en nuances virant du bleu au rouge. A chaque claquement, le ciel s'auréole de couleurs féeriques qui donnent aux paysages des couleurs irréelles, parfois même, frappé par la foudre, un arbre s'embrase au loin tel un feu de bengale. Le photographe tente de figer la magie du moment. Réglé sur longue pause, l'appareil photo assume inlassablement son travail. Durant chaque pause Sébastien a le loisir de contempler le spectacle et se réjouit des images qu'il ramènera à la maison, malgré le danger, bien présent. Ses sens sont en éveil, il compte chaque seconde séparant le son de la lumière, lorsque le tonnerre gronde avec ampleur à proximité. Il replie promptement le matériel et regagne sa voiture, ultime refuge sous l'orage.

Pendant quelques minutes, Sébastien frémit à chaque détonation. Le crépitement de la pluie, lourde et abondante, se mêle au tonnerre et résonne dans la carlingue. Le ciel s'embrase toutes les secondes, le temps s'allonge et l'atmosphère est pesante. Pris sous le déluge, Sébastien renonce à reprendre la route. Il allume l'autoradio et monte le volume au maximum. Cette présence le rassure un peu. Un peu hystérique, il accompagne en chanson le tube de l'été quand, soudainement, les précipitations diminuent et l'orage semble s'éloigner. Il éteint la musique et souffle une minute. Délivré, il redémarre sa voiture. La cellule, très active, a laissé un paysage de désolation sur son passage. Les champs, imprégnés d'eau, dégorgent leur liquide boueux sur la route. Plus loin, des flancs de montagnes, délavés par les pluies, ont été nettoyé des pierres instables, et les arbres dépouillés de leurs branches mortes qui recouvrent la route. Prudemment, le chasseur d'orages s'engage sur les voies dévastées et prend la route du retour.

A cette heure, la résidence de vacances sommeille. Quelques grondements lointains sont encore audibles, mais Sébastien est ailleurs... En dégustant un chocolat chaud, il branche son ordinateur et entreprend, avec envie, le chargement des photos d'éclairs. Impatient, il visionne chaque cliché au fur et à mesure du chargement. A sa grande satisfaction, quelques joyaux se révèlent. Des trophées qu'il pourra partager avec ses copains du Forum chasseurs d'orages et lui vaudront l'admiration de ses pairs. Encore étourdi, mais heureux, il s'abandonne au sommeil des braves.

 

Christophe Suarez

 

Site officiel de la liste Chasseurs d'orages. Les photos diffusées sur ce site sont la propriété exclusive de leurs auteurs. Toute copie devra faire l'objet d'une autorisation préalable de l'auteur. Une initiative de la communauté francophone des chasseurs d'orages.