TORNADES
ET CHASSEURS D’ORAGES EN FRANCE
Est-il
possible de chasser la tornade en France ?
Est-il
envisageable de chasser la tornade en France, ou tout au moins est-il
raisonnable de songer à l'éventualité du
phénomène en partant en chasse ?
Autant
vous le dire tout de suite, il y a seulement trois ans jamais je
n'aurais abordé un tel sujet, la réponse me paraissant
tellement évidente qu'il n'y avait même pas lieu de se
poser la question. Maintenant, j'en arrive à me poser cette
étonnante question tellement la réalité des
tornades en France et en Europe apparaît différente des
idées reçues communément véhiculées
sur le sujet, y compris chez les passionnés de météo
et les chasseurs d'orage. Alors
bien sûr, on se doute que la réponse quelle qu'elle soit
ne pourra être que circonstanciée et relative, très
nuancée. Or, en France, l’un des principaux obstacles à
ce genre d'investigation reste l'attitude souvent irrationnelle de
certains passionnés qui balancent sans cesse entre les deux
extrêmes, irrationalité entretenue par les apparences et
les effets déformants de la médiatisation : la tâche
de celui qui tente d'appréhender et faire connaître la
réalité de manière objective n'est pas simple et
se résume souvent à raviver les braises de ceux qui
disent "qu'on a jamais rien en France" (ou dans X région),
et retenir par les bretelles tous ceux qui parlent de Tornado Alley
dès qu'il y a un gros orage quelque part (parfois ce sont les
mêmes !).
A
leur décharge, il faut reconnaître que dans ce domaine
vouloir être rationnel et objectif reste très difficile.
Il nous faut en effet tenir compte des multiples paramètres
responsables des difficultés rencontrées par les
chasseurs, paramètres que je vais tenter de détailler
ci-dessous :
A)
Les paramètres climatologiques et leur connaissance
1)
L'intensité et la longueur des trajets / durée
Le
premier des paramètres s'il en est : il est évident
qu'intensité et dimensions des phénomènes jouent
sur la perception du phénomène en France. Les tornades
parcourent des trajets beaucoup moins longs en France et en Europe de
l’Ouest, où elles finissent vite par se heurter à
des obstacles, qu’aux USA. Dans notre pays au paysage
particulièrement compartimenté, on ne peut guère
parcourir plus de 100 à 150 kms sans voir le paysage changer
radicalement, un charme qui fait d’ailleurs la réputation
de la France chez les touristes étrangers et qui influence la
diversité des climats locaux. Le
trajet le plus long connu officiellement en France est de 58 km. Il a
été parcouru par la tornade de St Claude en 1890. Un
petit nombre de cas recensés taquinent les 40-50 kms, d’autres
encore ont parcouru entre 10 et 20 kms (19 kms au compteur pour la
terrible F4 de Hautmont en 2008). Mais la grosse majorité de
leurs consœurs ne parcourent pas plus de quelques kilomètres
voire se limitent à quelques centaines de mètres
(évidemment nous ne pouvons que nous féliciter de ces
courtes distances). En
conséquence, leur durée également très
brève peut ne pas excéder quelques minutes voire
quelques secondes, même pour un cas puissant comme la F2 de
Haimps (1982). Alors
bien sûr pour les chasseurs il s’agit d’être
là au bon moment ! Ces facteurs d’ordre
climatologiques diminuent d'autant la probabilité pour eux de
voir des tornades en cours de chasse, ces dernières pouvant
des fois se produire dans leur dos. Pour l’instant en France,
les chasseurs même actifs lors de l’orage ne prennent
connaissance des cas de tornades qu’à postériori dans les
journaux ou à la télé (nous verrons cependant
plus loin que les choses commencent à évoluer).
Enfin
signalons aussi que la proportion de très grosses tornades sur
le nombre total est nettement plus réduite chez nous qu'aux
USA.
2)
La petitesse des zones concernées par la fréquence des
cas
Ce
paramètre-là est moins évident à
appréhender, mais je pense que son influence n’est pas
négligeable. En effet, couplée avec la petitesse en
superficie couverte des vagues orageuses (à laquelle la
compartimentation des paysages de notre pays n’est peut-être
pas là non plus étrangère), la petitesse des
zones à plus forte fréquence des cas ne facilite pas
non plus la tâche. Plus
la zone est grande, plus l’on a de chances -où que l’on
soit- de découvrir quelque chose. Or, il suffit que le trajet
de la vague orageuse passe 100 km plus au nord ou au sud pour que la
zone propice ne soit plus concernée. Ce qui évidemment
a moins de chances d'arriver si la zone en question fait 500 km de
large ou davantage, comme c’est fréquemment le cas aux
Etats-Unis ou en Europe de l’Est. En
France parmi les zones que l’on considère habituellement
comme fréquemment touchées, la plus grande reste celle
qui couvre le NPDC (prolongée sur la Belgique et les Pays
Bas). D’après
de récentes recherches dont j’ai eu connaissance, la
vaste région de l’Est pourrait être plus fortement
touchée qu’on ne le croit car intégrée
dans un couloir européen courant du sud de l’Allemagne
au Centre Ouest français. La chose n’est pas encore
sûre, mais dans le doute j’incite les chasseurs alsaciens
à davantage intégrer le risque tornadique dans leurs
chasses et –pourquoi pas- à franchir la frontière
allemande où pullulent les cas déjà recensés…
le tout avec prudence bien sûr.
3)
La dichotomie française entre zones orageuses et zones tornadiques
En
France, une particularité remarquable de la climatologie
orageuse fait que les tornades se regroupent dans des régions
qui ne sont pas les plus fréquemment touchées par les
orages. Un fait qui saute vraiment aux yeux quand on compare les
cartes respectives des couloirs d’orages et des couloirs de
tornades, où l’on remarque -même sur les cartes
récentes- que le classique couloir Sud Ouest/Nord Est reste
épargné par les tornades. Or, le choix souvent fait de
chasser dans ces dernières régions, aux fréquents
orages violents souvent spectaculaires, amène de fait à
délaisser leurs homologues plus au nord et donc nombre de
captures de tornades potentielles.
Les
deux cartes ci-dessous vous éclaireront à ce sujet bien
plus qu’un long discours.
Bien
sûr, cela n’a pas empêché notre Pierre Paul
Feyte national de nous ramener des clichés gersois pionniers
en la matière. De même des régions a priori
inattendues comme le Cantal ont été récemment
mises à l’honneur par les chasseurs-photographes, ainsi
que le Var. Mais plus au nord, avec un réseau plus étroitement
maillé et des chasseurs avertis nous ne sommes à mon
avis qu’au début de l’aventure qui nous mènera
très certainement vers un réveil massif des clichés
de tornades en France par des chasseurs.
De
gauche à droite : nombre moyen de jours d'orage
1950-1980 (source Traqueurs d’orages, Alex Hermant), et carte
de la répartition des tornades en France (Jean Dessens)
4)
La rareté effective des cas dans une bonne partie de la France
Un
facteur à ne pas oublier non plus, malgré la récente
affluence de nouveaux cas due aux nouvelles technologies et à
la sensibilisation du public. Certes, désormais les recherches
tout comme les plus récents résultats vont dans le sens
d’un lissage des densités sur le pays. Les fréquences
selon les régions y sont beaucoup plus dégressives
qu’on ne l’imaginait au début avec la carte de
Jean Dessens et on va vers une disparition progressive des zones de
vide. Néanmoins,
il reste vraisemblable que dans certaines zones de la moitié
sud du pays, les tornades significatives soient assez peu fréquentes
voire franchement rares.
5)
La répartition saisonnière des tornades et l'importance des tornades d'hiver
Les
tornades de saison froide représentent 20 % de la totalité
des cas recensés en France d'après les travaux de Jean
Dessens (et sans avoir vérifié je pense qu'on a à
peu près le même chiffre encore actuellement). Premier
aspect à signaler, le manque criant de prise en compte des
orages et tornades d'hiver par les chasseurs qui ont tendance à
considérer qu’en Octobre tout est fini et s’étonnent
régulièrement de voir l’activité
convective se manifester en plein hiver. Ici
l’obstacle demeure autant culturel que réellement
climatologique. Il peut néanmoins s’expliquer par deux
facteurs : la rareté effective de ce type d’orage
dans les zones du centre et de l’Est de notre pays (les orages
hivernaux frappent de préférence les zones maritimes),
et la recherche de la foudre qui amène à privilégier
les orages estivaux (les orages d’hiver sont moins électriques
puisque moins pourvus en réserve de chaleur accumulée). Alors
déjà oui, les orages d’hiver existent et certains
clichés d’élégantes lignes de cb attestent
qu’ils peuvent être très photogéniques.
Mais sait-on aussi qu’en plus de cela dans les zones françaises
les plus tornadiques la proportion d’évènements
hivernaux est particulièrement élevée, et pas
seulement pour des raisons de proportionnalité ? C’est
là aussi que le manque de connaissance de la réalité
des tornades en France influe énormément sur le nombre
de captures. En effet parmi ces zones figurent beaucoup de régions
littorales (Charente maritime, Nord Pas de Calais, Languedoc et
autres littoraux méditerranéens..), lesquelles sont
soumises davantage que les autres aux orages et aux tornades de
saison froide. Saviez-vous que dans le 17 une forte proportion des
plus grosses tornades recensées a eu lieu en hiver, avec une
F4 en janvier, des F3 en octobre ou en novembre ? Ces données
sont évidemment à relativiser compte tenu des énormes
lacunes de recensement de cette région, et déjà
plusieurs contre-exemples de taille viennent de surgir. Mais on peut
quand même se dire que les tornades hivernales y sont loin
d'être négligeables, et il serait intéressant
d'étendre ces stats aux autres zones tornadiques littorales,
comme le NPDC ou l'Hérault. Les résultats pourraient
vous surprendre...
B)
Les paramètres matériels, psycho-culturels et
médiatiques
1)
Paramètre matériel : la prévision et le suivi en
temps réel en France et en Europe des tornades
Contrairement
à leurs voisins espagnols ou allemands, les chasseurs français
se heurtent à cet obstacle matériel majeur surtout pour
des chasses visant à étudier ou recenser les phénomènes
orageux. En effet, seuls les radars doppler permettent de repérer
non seulement les tornades, mais aussi les mésocyclones et
donc les supercellules. A titre comparatif, il y aurait quasiment 1
radar doppler tous les 30-50 km dans la Tornado Alley sans compter
tous ceux qui sont mobiles et que les chasseurs eux-mêmes
emmènent dans leurs véhicules. On
sait que Météofrance s’est dotée il y a
quelques années d’une poignée de radars doppler
pour mieux étudier les épisodes de fortes
précipitations, notamment méditerranéens. On ne
peut que louer une telle initiative bien sûr, mais la formation
à l’utilisation des dopplers et à
l’interprétation de leurs images reste chose difficile.
Même encore maintenant, des commentaires de professionnels dans
les journaux font régulièrement état de
l’impossibilité pour Météofrance de
repérer au radar les cas de tornades au moment où ils
surviennent (ainsi d’ailleurs que les microbursts et autres
phénomènes hyper localisés). Maintenant
qu’en est-il des prévisions ? Météofrance
pour l’instant ne fait pas de prévisions orageuses très
détaillées, tout du moins dans sa communication
vis-à-vis des autorités et du grand public. Parmi les
sites amateurs, en France comme partout ailleurs en Europe, personne
ne peut pour l’instant prévoir avec précision le
risque d’apparition d’une tornade à tel endroit.
Les sites les plus pointus ne pouvant qu’évaluer et
graduer le risque à l’échelle régionale,
ce qui n’est déjà pas si mal. A l'échelle
européenne, l'ESSL (European Severe Storm Laboratory) et le
site Estofex, qui produisent les prévisions les plus ciblées
dans le domaine, ne peuvent que se contenter de dire "voilà
à tel endroit, la situ météo suscite un risque
léger/moyen/fort de tornades." Point barre. Après,
on se débrouille. Ce n'est évidemment pas pour
critiquer leur travail et ceux des autres sites que nous sommes ravis
de pouvoir consulter à défaut de prévisions
ciblées professionnelles, mais simplement constater que les
chasseurs français ne peuvent bénéficier d'aucun
suivi, aucune détection au doppler. De ce
fait, nous nous retrouvons donc coincés dans un cercle vicieux
: l’absence de moyens de suivi et de détection entraîne
en effet un recensement embryonnaire et des études trop rares,
responsables à leur tour d’une absence de connaissances
de la réalité du phénomène dans le
public, d’où les fausses impressions et idées
reçues y compris chez les chasseurs. En conséquence ces
derniers en chassant souvent n’envisagent pas leur éventualité
ou s’en désintéressent, n’apportent donc
pas de témoignages probants. On constate donc une absence
d'intérêt d’où découle par voie de
conséquence un manque de motivation pour inciter ceux qui le
peuvent à se donner les moyens logistiques pour faire de la
prévision et du suivi… La boucle est bouclée. Bien
sûr, même déterrée et connue à sa
plus juste valeur, on se doute bien que la climatologie tornadique
française ne nécessite pas non plus un équipement
à l’américaine. Mais déjà
simplement, si nous pouvions gagner le niveau d’équipement
de nos voisins allemands et espagnols en la matière, adaptée
à la réalité française et européenne,
ce serait déjà une belle avancée… qui
passe malheureusement encore dans notre pays par une prise de
conscience du public, des chasseurs et même –j’ose
le dire- de Météofrance. Je
terminerai enfin sur cette note optimiste : en effet à
l’heure actuelle, grâce aux initiatives de quelques
associations d’amateurs et aux données qui transitent
sur le net, on voit se poser les premières pierres d’un
pont très prometteur entre la connaissance des amateurs et le
monde professionnel…
2)
Paramètre matériel : les limites
matérielles/infrastructurelles des chasseurs français
Il
est notable que les chasseurs français même correctement
informés rencontrent aussi des difficultés d’ordre
matériel bien particulières, cette fois-ci à
l’échelle individuelle, dont certaines restent
incompressibles selon le mot de l’un d’eux, dont je
reproduis la réponse ci-dessous :
-
Le
manque de moyens
: nous sommes tous des amateurs et il est très difficile de
vivre de cette passion. La chasse à l’orage est une
pratique très coûteuse avec bien sûr un
investissement initial important dans le matériel photo et
vidéo mais également des coûts de plus en plus
lourds en carburant. La hausse progressive des prix du pétrole
pourrait d’ailleurs nuire à terme à l’activité
de la chasse à l’orage, avec une réduction
probable des distances parcourue. Aux Etats Unis, une partie des
chasseurs de tornades sont des professionnels, employés par
des institutions ou des chaînes de télévision.
-
Le
manque de temps
: en liaison avec le point évoqué ci-dessus, qui dit
amateur dit activité professionnelle parallèle. Il faut
donc que l’activité orageuse coïncide avec une
période de temps libre ce qui n’est pas toujours
compatible. Les vacances d’été sont bien sûr
le meilleur moment mais il faut en contrepartie ne pas avoir de vie
de famille à sacrifier.
-
Le
territoire
:
la France est un pays qui compte une densité de population
bien plus élevé que les grandes plaines américaines
et, malgré un réseau routier dense, les axes «
circulants » (droits et sans agglomérations) manquent,
surtout si l’on veut quadriller le territoire. Bref, dés
que l’on sort des autoroutes et des voies express, le rythme
est très fortement ralenti. Aux Etats Unis, ce problème
se pose moins puisque là bas, la majorité des routes «
de campagne » sont rectilignes et désertes.
3)
le développement très récent de la chasse en
France, les objectifs des chasseurs, la situation de l’internet
météo en France
Attardons
nous un instant sur la situation de la chasse en France et ce qui la
caractérise, cela nous sera nécessaire pour ensuite
mieux appréhender le contenu du paragraphe suivant. Quelques
pionniers tels Alex Hermant ont déjà donné ses
lettres de noblesse à la chasse en France, et à la
chasse tout court. Nous savons également qu’un certain
nombre de chasseurs de la première heure, souvent inconnus du
grand public voire des chasseurs eux-mêmes, ont eux aussi
parcouru les routes françaises et accumulé des clichés
argentiques, lesquels malheureusement dorment dans leurs tiroirs. Cependant,
ce n’est pas d’eux que je vais parler ici mais d’un
autre univers, celui du net météo que je commence à
bien connaître depuis quelques années. En
effet depuis les années 2000 le paysage de la chasse en France
a été bousculé, révolutionné même,
par la formidable expansion de l’Internet et de la photo
numérique qui a permis à tout un réseau de
jeunes chasseurs de mieux se faire connaître et communiquer
entre eux. De nombreux sites, forums et communautés ont ainsi
vu le jour sur la Toile, initiant et entretenant un réseau
d’échange de plus en plus dense au fil des années.
La génération 2000 aura donc vu la naissance et la
croissance d’une force vive, de plus en plus relayée par
les médias et les journaux. Cependant
tout n’est pas non plus si rose. De son fait même, cet
élan sur le net manque encore d'ancienneté et
d’expérience, et la moyenne d’âge y est très
basse contrairement à celle des chasseurs américains.
Résultat, les jeunes chasseurs sont souvent seuls et
inexpérimentés, sujets pour beaucoup à certaines
attitudes et points de vue encore irrationnels (exaltation,
découragements, idées reçues...) et au manque de
culture météo. On le voit sans cesse sur les forums, où
malheureusement l'absence ou la discrétion des chasseurs plus
expérimentés (Alex Hermant, Pierre Paul Feyte, Philippe
Talleu...) se fait sentir. La question de la sécurité
s’est même posée à plusieurs reprises et
demeure bien évidemment la priorité numéro 1.
Précisons à ce propos que le fait de chasser seul peut
inciter à ne pas aborder de front les phénomènes
trop dangereux. Une attitude prudente qui reste tout à fait
conseillée dans ces cas-là, même si elle
restreint là encore les possibilités d’observation
de phénomènes remarquables. Si la solution adéquate
à tous ces obstacles reste encore à trouver, déjà
la chasse organisée à plusieurs peut en constitue l’un
des aspects quand elle est possible. A
noter que chez beaucoup de ces jeunes chasseurs manque encore aussi
le réflexe de consulter les journaux après l’épisode
pour compléter l’information, ce qui entretient les
lacunes de la culture météo des phénomènes
orageux et tornadiques, elle-même obstacle culturel majeur pour
la « chasse à la tornade ». On voit donc
bien à quel point ces facteurs s’enracinent parfois
profondément dans des arcanes socio-culturelles spécifiques. Enfin,
pour des raisons aussi bien incontournables (matérielles…)
que liées à des choix, la couverture des régions
demeure encore inégale malgré son amélioration
au fil des ans. Ce qui
est notable en France, c’est que cette chasse-là, celle
de l’internet, des sites et des blogs, encore quelque peu
inconsciente de certaines réalités, coexiste donc avec
une chasse plus « invisible » mais non moins
réelle, celle dont je parlais plus haut, beaucoup plus
consciente de la réalité tornadique mais qui ne cherche
pas spécialement à divulguer l’information :
ainsi Alex Hermant a-t-il déjà eu affaire à des
tornades dans sa propre région (même parfois de manière
assez musclée cf. lien page 8). Côté
scientifiques et chercheurs, Jean Dessens a chassé et continue
de chasser encore. Il en est peut-être également de même
de certains professionnels de Météofrance. Il existe
ainsi en France tout un fond de connaissances et de documents,
notamment visuels, dont les acteurs parfois se connaissent et se
contactent, ou opèrent seuls, en tout cas en complète
déconnexion et indépendance avec la chasse « visible »
sur le net.
Les objectifs
de la chasse en France sont eux aussi, je pense, corrélés
à bon nombre de ces facteurs. Notre pays semble s’être
taillé une belle réputation dans la photo d’art
et l’esthétique, allant même jusqu’à
inclure la chasse à l’orage dans de véritables
sous-branches du monde de la photo d’art. Cette thématique
reste de loin la plus représentée parmi la pléthore
de sites météo et forums de météo qui
existent en France. Un objectif bien sûr parfaitement louable
et dont, jour après jour, on apprécie les véritables
chefs-d’œuvre mis en ligne qu’il a pu susciter.
Parallèlement à cela, la chasse à visée
scientifique ou documentaire peine encore à trouver sa place,
mais il semble que les quelques initiatives et émergences ça
et là commencent à porter leurs fruits, et que l’esprit
« recherche et observation » gagne du terrain.
Cependant
parmi les phénomènes les plus recherchés, la
foudre reste la reine incontestée dont la beauté et la
magie photogénique toujours renouvelés n’auront
de cesse de fasciner. Or, chasser la foudre requiert de chasser
principalement de nuit, ce qui limite considérablement
l’observation des structures nuageuses et autres phénomènes
orageux. Christophe Suarez me confiait encore il y a peu que la
chasse de nuit et le manque de culture en France avaient longtemps
bloqué la progression des chasseurs dans l’expertise et
l’observation des supercellules et autres structures. La toute
récente avancée dans l’art du diagnostic
supercellulaire pourrait ainsi expliquer le foisonnement des
identifications de ce type en 2008 et 2009. Et à ce propos,
j’en viens à évoquer des aspects qui petit à
petit me sont apparus au fil du temps comme essentiels :
capturer tel ou tel type de ces phénomènes ne requiert pas
seulement de la chance ou bien connaître la prévision ou
la climatologie pour repérer les situations météo
ou coins les plus propices. Ils requièrent également de
véritables techniques de chasse spécifiques comme par exemple la
chasse en réseau, des réflexes
à acquérir, choses à faire ou ne pas faire qui
pourraient à elles seules faire l’objet d’un
dossier à part…
Je
ne citerai pas les multiples sites dédiés aux photos de
foudre qui sont nombreux dans le paysage français. Davantage
orientés étude scientifique, je citerai en revanche
quelques sites ou blogs perso de chasseurs tels Météobell
à l’information pointue, auxquels se sont à
présent rajoutés chasseurs-orages.com
dont
le volet climato/scientifique tend désormais à
rejoindre ce même objectif et, sous réserve, Kéraunos
dont le projet reste potentiellement très prometteur. Enfin
Infoclimat en tant que plateforme généraliste très
complète et outil de suivi du temps en direct, offre via son
forum et la rubrique Photolive une véritable base documentaire
à consulter a posteriori, ainsi que de nombreux autres outils. Enfin
existent quelques sites régionaux présentant la
climatologie orageuse de leur région, voire proposant une
rétrospective des cas de tornades recensés. Mais ils
demeurent encore trop rares. En particulier il n’existe aucun
site charentais de ce type, énorme lacune quand on connaît
le potentiel du coin.
Au
sujet de la situation de la chasse en France, voir cette très
intéressante discussion qui bien qu’un peu datée
en évoque des aspects encore actuels :
http://flandreclair.niceboard.com/la-traque-d-eclairs-et-de-ciels-orageux-f10/l-avenir-de-notre-activite-t234.htm
4)
Paramètre psycho-culturel : la notion d'alea et la
réalité ponctuelle à échelle locale
Dans
d'autres dossiers ou d'anciennes versions, en comparant avec la
perception de la délinquance souvent hypertrophiée à
cause des médias, j'avais parlé d'effet semblable en
sens inverse pour les tornades en France. Perception vraiment décalée
allant jusqu'à une quasi négation du phénomène. Mais à
la décharge de cette vision grand public, il faut aussi
admettre que
le phénomène même relativement fréquent ne
se révèle que rarement aux yeux humains.
Et de ce point de vue là du chasseur, je ne suis pas sûr
que les régions les plus propices soient forcément plus
"intéressantes" en termes de probabilité,
quand l’objectif de la chasse est d’en voir une sur un
court laps de temps en un endroit donné. Certes, la
probabilité y est mathématiquement plus grande et
-surtout- des chasses régulières dans ces coins
finiraient par faire ressortir un nombre important de tubas ou
petites trombes (comme cela s’est d’ailleurs déjà
produit en Vendée, nord 17 et 44 en mai 2008), et voir arriver
peut-être plus rapidement les premières photos de
trombes puissantes par des chasseurs. Mais ponctuellement l'avantage
reste négligeable. On peut ne rien avoir du tout, ou alors
apprendre ensuite qu'il y a eu une tornade dans une toute autre
région. Et ce d’autant plus que les régions les
plus tornadiques ne sont pas parmi les plus orageuses de France. Parallèlement
à ça, on a tendance à oublier que même aux
USA, la certitude n'existe pas non plus. Les chasseurs peuvent y
parcourir des centaines de kms sans rien voir, voir des orages sans
tornades, apprendre qu'une tornade s'est formée sur le lieu
d’où ils viennent juste de repartir, etc. Les reportages
photos US qui fleurissent sur les forums donnent une fausse
impression de surabondance alors que, si j'en crois un excellent
documentaire que j'avais vu une fois, la principale qualité
requise pour chasser la tornade resterait d'abord et avant tout... la
patience. Or
cette notion d'alea (risque = forcément alea et non
certitude), avec ses inévitables déconvenues à
la clé, contribue souvent au découragement ou autres
attitudes irrationnelles en France, entretenues notamment par les
longues périodes calmes vécues dans les zones les plus
à risque. Notons
aussi que le refus de l'incertitude reste encore profondément
ancrée dans les esprits français (alimentant par
ailleurs de régulières polémiques au sujet des
prévisions et vigilances). On peut supposer que chez certains
cela puisse entraîner des choix et options vers d’autres
phénomènes que les structures nuageuses ou les
tornades. Point de vue compréhensible et qui peut bien sûr
relever d’autres raisons, mais qui de toute évidence
éloigne les chasseurs-photographes de ce qui nous intéresse
ici (cf. paragraphe précédent).
C)
Conclusion
Précisons-le
d'emblée : oui bien sûr, la réalité des
tornades est différente de celle des USA à la fois en
terme de fréquence (aux 10 000 km2) et en termes d'intensité.
Et si cette réalité se rapproche plus qu'on ne le pense
de celle des USA, il s'agit de certains coins restant encore à
définir précisément, et uniquement en termes de
fréquence. Cependant
on a vu que les freins relèvent autant d'une question d'état
d'esprit, de nombre, de disponibilité, d'organisation, de
moyens logistiques et même de politique que d'une question de
réalité climatologique. Certains de ces facteurs
restant incontournables.
En
règle générale et en rapport avec tout cela je
continue à penser que le plus raisonnable pour le chasseur
français resterait de continuer à envisager la chasse à
l'orage dans sa globalité, en considérant la tornade
comme une simple "cerise sur le gâteau" possible,
surtout dans certaines régions où le risque est supposé
faible. Mais en revanche où qu’ils soient ils ne doivent
pas négliger pour autant cette possibilité, ne
serait-ce que pour des raisons de sécurité. La
mésaventure survenue à des chasseurs de ma connaissance
à Lamasquère en Haute Garonne, surpris par une très
probable petite tornade lors d’une chasse de nuit où
l’on n’y voyait goutte, est là pour nous le
rappeler. Ensuite
l’amélioration des techniques de chasse associée
à une modification en profondeur de la culture tornadique
permettra certainement à coup sûr d’augmenter les
chances d’apercevoir des phénomènes. On
notera d’ailleurs que la toute récente évolution
de la chasse à l'orage en France commence à porter ses
fruits cette année 2009,
avec
de précieuses photos de tornades au sol prises en situation de
chasse active.
D)
Photos
Stormsplitting
ou séparation de l'orage en deux, ici du fait des vents
contraires et du fort cisaillement
(cliché
Samuel Desmarchais vers Aulnay de Saintonge (17) lors d'un orage
modéré en avril 2007)
Première
et pour l’instant unique photo connue en France d'une tornade
dite "de front de rafales"
(cliché
Damien Belliard en Maine et Loire (49) le 30 avril 2007)
E)
Pour aller plus loin
http://www.infoclimat.fr/montagne/?analyse=mc&id=45
Il
s’agit de la rubrique Montagne du site Infoclimat, section
Massif Central. Ce 16 octobre 2006, elle inclut une interview très
intéressante d’Alex Hermant, qui entre autres narre par
le menu ses rencontres du 3ème
type avec quelques tourbillons mal intentionnés.
http://ppfeyte.free.fr/
Le
site de Pierre Paul Feyte, l’un de nos plus grands chasseurs en
France et auteur de magnifiques clichés, qui a eu l’heur
de nous capturer quelques exemplaires tourbillonnants.
http://stormy91.skyrock.com/
Blog
de Michel Gosselin, l’un des rares chasseurs français à
rechercher activement tornades et tubas, ce qui lui a déjà
valu quelques beaux succès notamment cette année en
2009 où il a capturé une tornade au sol. Blog
malheureusement non réactualisé, mais à suivre…
http://www.meteobell.com/index.php
Site
de Damien Belluard, chasseur et photographe à qui nous devons
des captures récentes de tornades de front de rafales et
gustnadoes. Ces pages valent aussi la visite pour leur contenu riche
et varié, captivant.
http://pagesperso-orange.fr/libecciu/
Le
site de Dominique Tison alias Doumé, qui s’est fait
notamment une spécialité de ses superbes clichés
de trombes marines en Corse (et pas seulement…).
Liste
non exhaustive bien sûr, cette sélection ayant été
faite sous l’angle assez restrictif du sujet de ce dossier…
Pour
compléter voici les deux sites présentant l'étude
de Jean Dessens et son prolongement par François Paul, les
pionniers dans le domaine de l’étude des tornades en
France au XXème siècle :
http://metamiga.free.fr/tornade_france/page1.htm
http://pagesperso-orange.fr/climat-energie-environnement/Climat/TROMBES.HTM
© Nicolas Baluteau pour Chasseurs d'Orages
- 28 décembre 2009
Site officiel de la liste Chasseurs d'orages. Les photos,
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